Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/374

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referma la porte. Je fus surpris de retrouver Belle-Ile en embuscade où je l’avois laissé en entrant, et qui avoit eu la patience d’y persévérer plus de deux grosses heures à m’attendre. Il me suivit pour me demander si cela étoit fait. Je lui dis que la conversation s’étoit étendue sur plusieurs matières dont quelques-unes m’avoient conduit à tâter le pavé, que je l’avois trouvé assez bon ; mais qu’il connoissoit M. le duc d’Orléans soupçonneux, et qui n’aimoit pas à conclure ni à être pressé ; que je reviendrois le lendemain où je verrois ce qui se pourroit faire, sans toutefois lui répondre de rien. Je répondis de la sorte à Belle-Ile, parce qu’il avoit vu M. le duc d’Orléans me rappeler, qu’il avoit pu entendre l’ordre qu’il me donnoit de revenir le lendemain ; que ce retour enfin ne pourroit être ignoré de lui ni du cardinal Dubois, trop alerte pour n’être pas informé avec précision de tous les moments de M. le duc d’Orléans dans une telle crise, et que la cachotterie eût été également inutile et préjudiciable à moi, qui voulois aller au bien, mais garder avec eux des mesures. D’ailleurs ma réponse fut en des termes qui ne pouvoient blesser le cardinal.




CHAPITRE XVI.


Autre conversation singulière et curieuse entre M. le duc d’Orléans et moi sur faire un premier ministre, dont je persiste à n’être pas d’avis. — Malheur des princes indiscrets et peu fidèles au secret. — Exemples des premiers ministres en tous pays depuis Louis XI. — Quel est nécessairement un premier ministre. — Quel est le prince qui fait un premier ministre. — Embuscade de Belle-Ile. — Le cardinal Dubois déclaré premier ministre. — Il me le mande et veut me faire accroire qu’il m’en a l’obligation, et n’oublie rien pour en persuader le public. — Conches ; quel. — Je vais le lendemain