Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/393

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qui vient d’être racontée, le cardinal Dubois fut déclaré premier ministre par M. le duc d’Orléans, et par lui présenté au roi comme tel, à l’heure de son travail. Sur les quatre heures après midi arriva Conches à Meudon, qui vint m’apprendre cette nouvelle de la part du cardinal Dubois, qui l’envoyoit exprès m’en porter, me dit-il, son hommage, comme à celui à qui il en avoit toute l’obligation. Je répondis fort sec et avec grande surprise que j’étois fort obligé à M. le cardinal de la part qu’il vouloit bien me donner d’une chose pour laquelle il savoit mieux que personne qu’il n’avoit besoin que de lui-même, et Conches, sans autre propos de moi ni guère plus de lui, s’en retourna aussitôt. Conches étoit un homme de rien et de Dauphiné, dont la figure lui avoit tenu lieu d’esprit. M. de Vendôme lui avoit fait avoir une compagnie de dragons, puis commission de lieutenant-colonel. Il s’étoit attaché depuis à Belle-Ile, mestre de camp général des dragons [1], qui ramassoit alors tout ce qu’il pouvoit pour se faire des créatures, et qui savoit très bien se servir des gens quels qu’ils fussent, et les servir lui-même utilement. Je vis donc par ce message que le cardinal Dubois se vouloit parer de mon suffrage pour son élévation à la place de premier ministre, tandis qu’il étoit radicalement impossible et hors de toute vraisemblance qu’il ne sût par M. le duc d’Orléans ce qui s’étoit passé, du moins en gros, entre ce prince et moi là-dessus. Je fus vraiment indigné de cette effronterie, dont sa prétendue reconnoissance remplit la cour et la ville. Heureusement on nous connoissoit tous deux : mais ce n’étoit pas le plus grand nombre, de ceux surtout qui n’approchoient pas de la cour. Je ne laissai pas de dire à des amis, à quelques autres personnes distinguées, que j’étois fort éloigné d’y avoir part, et je remis au lendemain, quoiqu’il fût de si bonne heure, à aller à Versailles.

  1. Colonel général des dragons. On a eu tort, dans les anciennes éditions, de substituer maréchal de camp général à mestre de camp général.