Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/44

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avoit bien envie d’en devenir chevalier, et il y parvint enfin à la longue. Par lui-même, j’ai eu lieu de croire qu’il eût été plus modeste, mais il avoit une femme qui pouvoit beaucoup sur lui, qui avoit de l’esprit, des vues du monde, qui crevoit d’orgueil et d’ambition, qui ne prétendoit à rien moins qu’à voir son mari grand d’Espagne, qui ne cessoit de le presser d’user de sa faveur. Il en avoit un fils et une fille fort gentils : c’étoient des enfants de huit ou dix ans qui paraissoient fort bien élevés. Son frère, l’abbé Grimaldo, fort uni avec eux, l’étoit parfaitement d’ambition avec sa belle-soeur, et [ils] le poussoient de toutes leurs forces. Mais outre que cette femme étoit ambitieuse pour son mari, elle étoit haute et altière avec le monde, et se faisoit haïr par ses airs et ses manières, et ce fut en effet cela qui le perdit à la fin. L’abbé Grimaldo imitoit un peu sa belle-soeur dans ce dangereux défaut. Il étoit craint et considéré, mais point du tout aimé, même de la plupart des amis de son frère.

J’étois instruit de ces détails, mais des plus intérieurs par le duc de Liria, et surtout par Sartine véritablement intéressé et attaché à Grimaldo, et par le chevalier Bourck, dont je parlerai dans la suite. Je voyois assez souvent Mme Grimaldo chez elle et son beau-frère, et il est vrai qu’à travers la politesse et la bonne réception, l’orgueil de cette femme transpiroit et révoltoit, non pas moi, qui aimois son mari, et qui n’en faisois que rire en moi-même, ou en dire tout au plus quelque petit mot, et encore rare et mesuré, à Sartine, ou au duc de Liria. Je pense que ce fut elle qui se servit de Sartine et de Bourck pour me pressentir sur la grandesse. Je raconte ceci de suite, quoique après le retour de Lerma à Madrid, et pour sonder si je voudrois y servir Grimaldo. Rappelé à sa charge de secrétaire d’État, au moment de la chute d’Albéroni, il avoit été témoin de bien près de la rapidité de la fortune de Riperda devenu comme en un clin d’œil premier ministre aussi absolu que le fut jamais son prédécesseur Albéroni, et en même temps grand d’Espagne,