Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/463

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faire obéir le saint-siège, que Mezzabarba y fut envoyé. Il ne se put tirer d’un si dangereux pas qu’en la manière qu’on vient de voir, directement opposée à ses ordres. Mais que dire à un homme qui prouve un tel péril pour soi et une telle inutilité d’y exposer sa vie ? Aussi ne sut-on qu’y répondre ; mais la honte de le voir à Rome en témoigner l’impuissance, par le seul fait d’être revenu sans exécution, et forcé au contraire à suspendre tout ce qu’il étoit chargé de faire exécuter, rendit sa présence si pénible à supporter, qu’il ne lui en coûta pas seulement le chapeau promis pour le prix de son voyage, mais l’exil loin de Rome, où il vécut obscurément plusieurs années, et dans lequel il mourut.

Le pape, la très grande partie du sacré collège et de la cour romaine vouloit faire rendre les plus grands honneurs à la mémoire du cardinal de Tournon ; et le peuple, soutenu de plusieurs cardinaux et de beaucoup de gens considérables, le vouloient faire déclarer martyr. Les jésuites en furent vivement touchés. Ils sentirent tout le poids du contre-coup qui tomberoit sur eux de ce qui se feroit en l’honneur du cardinal de Tournon. L’audace, poussée au dernier point de l’effronterie, leur en para l’affront. Ils insistèrent pour obtenir qu’après Mezzabarba, leur P. Magalhaens fût écouté à son tour.

Peu occupés de défendre les rits chinois, la désobéissance et les violences des jésuites de la Chine devant la congrégation de la Propagande, dont ils n’espéroient rien, ils voulurent aller droit au pape. Magalhaens y défendit les siens comme il put. Il se flattoit peu de leur parer une condamnation nouvelle. Son grand but fut d’étouffer la mémoire du cardinal de Tournon et de sauver l’affront insigne des honneurs qu’on lui préparoit. Le pape, gouverné par le cardinal Fabroni, leur créature et leur pensionnaire, qui les craignoit à la Chine, où ils se moquoient de lui en toute sécurité, et qui s’en servoient si utilement en Europe, crut mettre tout à couvert en condamnant de nouveau les rites