Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/476

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avoit servi toute sa vie en Flandre, où montant par tous les degrés, il y étoit devenu gouverneur général des Pays-Bas espagnols par interim, en l’absence de l’électeur de Bavière, et gouverneur de Bruxelles, enfin général des armées des deux couronnes, en pleine égalité avec nos maréchaux de France généraux des armées de Flandre. Il s’y conduisit si bien qu’il en acquit l’affection du roi, qui lui donna l’ordre du Saint-Esprit, lui procura la grandesse, puis la vice-royauté de Sicile. De retour en Espagne, il y fut ministre d’État et chef du conseil des ordres et du conseil de guerre, avec une grande considération. J’en ai donné ailleurs la maison, la famille, et le caractère. J’ai admiré cent fois en Espagne comment cet homme, si fait pour le grand monde, qui en avoit un si long usage, et qui pendant tant d’années avoit vécu si publiquement et si splendidement, avoit pu, de retour en Espagne, en reprendre la vie commune des seigneurs espagnols, manger seul son puchero [1], et achever sa vie dans une solitude presque continuelle, interrompue seulement par quelques visites plus de bienséance que de société, et par quelques fonctions.

On fut surpris en même temps d’apprendre que le maréchal de Villars étoit fait grand d’Espagne, sans l’avoir jamais servie que dans l’affaire de Cellamare et du duc du Maine, et sans qu’on ait jamais su comment il avoit obtenu cette grâce, que M. le duc d’Orléans lui permit d’accepter, parce qu’il permettoit tout. Le maréchal avoit essayé d’obtenir de la cour de Vienne, où il étoit fort connu pour y avoir été longtemps en deux fois envoyé extraordinaire du feu roi, un titre de prince de l’Empire ; mais il n’y put parvenir. Le maréchal vouloit toutes les dignités, tous les honneurs, toutes les richesses, et il en fut comblé sans en être rassasié ni ennobli.

  1. Pot au feu.