Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/47

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torien en voyant de sa fenêtre défiler une de ces parodies révolutionnaires. Un autre aurait pu dire également : « Voilà mon drame qui passe. » Une chose entre autres qui m’a frappé dans ces événements si étonnants, et dont je ne prétends point d’ailleurs diminuer la portée, c’est, à travers tout, un caractère d’imitation, et d’imitation littéraire. On sent que la phrase a précédé. Ordinairement la littérature et le théâtre s’emparaient des grands événements historiques pour les célébrer, pour les exprimer : ici c’est l’histoire vivante qui s’est mise à imiter la littérature. En un mot, on sent que bien des choses ne se sont faites que parce que le peuple de Paris a vu le dimanche, au boulevard, tel drame, et a entendu lire à haute voix dans les ateliers telle histoire. Avec les dispositions d’un pareil peuple, abandonner au hasard la direction des théâtres, ne s’en réserver aucune, ne pas user de ces grands organes, de ces foyers électriques d’action sur l’esprit public, ne pas assurer une existence régulière à trois ou quatre d’entre eux qui, à force de zèle et d’activité, à force de bonnes pièces, de nouveautés entremêlées à la tradition, fassent concurrence aux théâtres plus libres et empêchent qu’on ne puisse dire Paris s’ennuie, ou Paris s’amuse, à faire peur, ce serait méconnaître les habitudes et les exigences de notre nation, le ressort de l’esprit français lui-même.

Qu’on ne s’y trompe pas : à travers les formes diverses et les bigarrures qui se succèdent et qui déguisent souvent le fond, cet esprit français subsiste ; il subsistera tant qu’il y aura une France, et il faut espérer que ce sera bien longtemps encore. Cet esprit qu’on croyait inhérent à l’ancienne société a triomphé de tout ce qui l’a modifiée successivement et détruite ; il a triomphé de 89, de 93, de l’Empire, du régime constitutionnel