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CAUSERIES DU LUNDI.

les yeux en nous donnant une traduction fidèle du mystérieux poëme. »

L’abbé de Pons comme La Motte, en tenant la traduction de madame Dacier, se disait : « Osons juger à présent l’Iliade. » On avait beau leur représenter, à ces juges si empressés, et madame Dacier toute la première : « Mais prenez garde ! Homère est bien autre chose. L’original est plus vif, plus animé ; expressif, magnifique, harmonieux. La langue française est impuissante à rendre toutes les beautés de la langue grecque. » Ils répondaient : « Peu nous importe, » et ajoutaient comme l’abbé de Pons, d’un air de compliment pour madame Dacier : « Elle a entendu Homère autant qu’on le peut entendre aujourd’hui ; elle sait beaucoup mieux encore la langue française ; elle a rendu le plus élégamment qu’elle a pu, dans notre langue, ce qu’elle a vu, pensé et senti en lisant le grec : cela me suffit, j’ai l’Iliade en substance. »

L’erreur, c’était de croire qu’un poète dont l’expression est un tableau, une peinture naïve continuelle, fût fidèlement rendu par une traduction tout occupée d’être suffisamment polie et élégante ; l’erreur, c’était de s’imaginer qu’il n’y avait là qu’une question de plus ou moins d’élégance et de précision, et qu’en supposant l’original doué de ces deux qualités à un plus haut degré que la traduction, on lui rendait toute la justice qu’il pouvait réclamer. Il s’agissait bien de cela ! de ces mérites des langues vieilles et rationnellement perfectionnées ! il s’agissait avec Homère des qualités vives, brillantes, harmonieuses et musicales des langues adolescentes. Souffle, véhémence, torrent, abondance, grandeur, feu et richesse, voilà les caractères continus de l’Iliade, que Pons ni La Motte ne soupçonnaient pas :

« On ne saurait dire, prétendait l’abbé de Pons, qu’une langue