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CAUSERIES DU LUNDI.

poésie et un art primitif, plus voisin de la nature, et qui ne s’est vu qu’une fois :

« Homère, disait-il avec une sorte de naïveté contente de soi et de son temps et très-commune alors, Homère aurait peut-être atteint à la perfection, s’il fût né dans le siècle d’Auguste ou dans le nôtre ; mais né dans des temps où l’art ne s’était point encore montré, n’étant guidé par aucunes règles, éclairé par aucun exemple, on lui doit tenir grand compte de son poëme, tout monstrueux qu’il est. »

L’ignorance, c’était de ne pas se douter que l’art prosodique, le talent et la science du chant pussent être des plus développés dans Homère et d’une maturité merveilleuse, même aux origines d’une civilisation.

Ce qui manque à l’abbé de Pons comme à La Motte, dans l’émancipation littéraire qu’ils tentent, c’est une connaissance, une comparaison directe et plus variée des littératures et des poésies, l’habitude de se placer à des points de vue historiques différents, la faculté de s’éloigner tant soit peu de leur quai et de leur Louvre, en un mot ce qui fait et achève l’éducation du goût. Lui, le petit abbé en particulier, il avait, nous le verrons, l’instinct du métaphysicien, de l’idéologue ; il tirait tout de la réflexion, de l’analyse ; l’intellectuel et l’abstrait étaient son plaisir et sa préférence. II opposait l’impression fâcheuse qu’il avait reçue de la traduction de l’Iliade à celle que lui avait faite en sens contraire une traduction en prose de la tragédie de Caton, d’Addison :

« Cette traduction, disait-il, quoique inélégante, m’a donné une très-haute idée de l’original. Je vois dans le poêle anglais la grande partie qui caractérise notre Corneille. Je n’ai rien vu de plus grand au théâtre que le caractère de Caton. Il est vrai que l’auteur ne conduit pas son action avec finesse ; il l’interrompt même par des amours épisodiques d’assez mauvais goût ; mais, à travers ces défauts, je vois le grand poëte, je vois un homme illustre, digne d’être envié à sa nation. »

Ce sont des esprits nés avancés et qui ont toujours eu