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M. RIGAULT.

l’âge déraison, que ces petits abbés de Pons. Ils n’admirent bien que les beautés des troisièmes siècles littéraires. Ils sont mûrs dès l’enfance pour le Caton d’Addison, et l’Iliade les ennuie comme ferait le Petit Poucet.

J’ai marqué les erreurs de l’abbé et de son ami : ce qu’il faut dire maintenant à leur avantage, c’est qu’ils pensaient par eux-mêmes, qu’ils voyaient clair là où leur vue portait ; qu’ils avaient raison contre ceux qui prétendaient trouver dans les poëmes d’Homère un dessein moral réfléchi, et de plus une règle et un patron de composition savante pour tous les poèmes épiques à venir ; c’est enfin qu’en forçant les adversaires à déduire leurs raisons et à débrouiller leur enthousiasme, ils hâtaient le moment où l’on saurait faire les deux parts, et où l’admiration pour Homère ne serait plus qu’une libre, une vive et directe intelligence de ses beautés sans aucune servitude.

Je n’ai à suivre cette querelle des Anciens et des Modernes qu’en tant que l’abbé de Pons y intervient et y figure. — Il eut affaire avec Gâcon. Gâcon, un chétif et déshonorant défenseur des Anciens, s’était mis en effet du jeu : sous le titre d’Homère vengé, il publia en 1715 le livre le plus incohérent et le moins solide, mi-partie de vers et de prose, folâtre de ton, tout bariolé de fables et de rondeaux, le tout à l’honneur du père de la poésie et contre son moderne détracteur. Je n’y trouve qu’un fait assez curieux : c’est que Boileau, que La Motte visitait quelquefois, avait été un jour averti par Gâcon que le traître à mine si douce était un ennemi irréconciliable des Anciens et leur préparait une rude attaque. Si Gâcon dit vrai. Despréaux en aurait témoigné à La Motte une si vive colère que celui-ci n’osa se déclarer du vivant du maître, et qu’il attendit que le vieux lion fût mort pour montrer les dents. Dans ce pot-pourri