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DE JOSEPH DELORME

Pour un chapelet d’œufs, dont tous les ans l’on change,
Jamais tu ne troublas fauvette ni mésange ;
Hier encor tu lâchas un bouvreuil prisonnier,
Et tu n’aimes qu’au bois les soupirs du ramier.
Dans tous nos environs, une lieue à la ronde,
Jamais tu n’as pu voir de jeune fille blonde,
Et d’un an plus que toi, qui vienne tous les jours
T’attendre innocemment, veuille jouer toujours,
Et te donne à tenir sa boucle dégrafée ;
Puis sous les clairs taillis le bois n’a plus de Fée.
Où vas-tu cependant ? et que fais-tu si seul ?
L’autre jour je passais : assis contre un tilleul,
Le front sur les genoux, sur les yeux tes mains blanches,
Dans les cheveux noyé comme un tronc dans ses branches,
Ému profondément, tu gémissais tout bas,
Et tu ne levas point la tête au bruit des pas.
De quoi peux-tu pleurer, bel enfant, à ton âge ?
Déjà ton jour d’hier a fui sur un nuage ;
Un brouillard si doré couvre ton avenir :
À l’horizon, de loin, qu’as-tu cru voir venir ?
Ah ! serais-tu de ceux (je commence à le craindre),
De ceux qu’embrase un feu que rien ne peut éteindre,
Que dévore en naissant un regret éternel,
L’absence de quelque être oublié par le Ciel,
De ceux dont l’âme tremble à des voix inconnues,
Et gémit en dormant comme un lac sous les nues ?

D’abord le lac est frais, et claires sont les eaux ;
À peine un vent plaintif incline les roseaux ;
Et l’enfant amoureux de suaves murmures,
Des saules entr’ouvrant les pleureuses ramures,
Avance un front vermeil, comme entre les lilas,
Son amphore à la main, penchait le bel Hylas.
Dans ce grand lac de l’âme il regarde et s’arrête :