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DE JOSEPH DELORME


LE CREUX DE LA VALLÉE


La solitude est mauvaise à celui qui n’y vit pas avec Dieu.
René.


Au fond du bois, à gauche, il est une vallée
Longue, étroite ; à l’entour, de peupliers voilée ;
Loin des sentiers battus ; à peine du chasseur
Connue, et du berger : l’herbe en son épaisseur
N’agite sous vos pas couleuvre ni vipère ;
À toute heure, au mois d’août, un zéphyr y tempère,
À l’ombre des rameaux, les cuisantes chaleurs
Qui sèchent le gazon et font mourir les fleurs.
Mais vers le bas surtout, dans le creux, où la source
Se repose et sommeille un moment dans sa course,
Et par places scintille en humides vitraux,
Ou murmure invisible à travers les sureaux,
Que le vallon est frais ! l’alouette y vient boire,
La sarcelle y baigner sa plume grise et noire,
La poule d’eau s’y pendre au branchage mouvant.
En me promenant là, je me suis dit souvent :
Pour qui veut se noyer la place est bien choisie.
On n’aurait qu’à venir, un jour de fantaisie,
À cacher ses habits au pied de ce bouleau,
Et, comme pour un bain, à descendre dans l’eau :
Non pas en furieux, la tête la première ;
Mais s’asseoir, regarder ; d’un rayon de lumière
Dans le feuillage et l’eau suivre le long reflet ;
Puis, quand on sentirait ses esprits au complet,
Qu’on aurait froid, alors, sans plus traîner la fête,
Pour ne plus la lever, plonger avant la tête.