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DE JOSEPH DELORME

Surtout, au grand dépit de plus d’une voisine,
Je fis danser trois fois votre belle cousine ;
Je vantai son bouquet, son peigne de corail ;
Je tins nonchalamment son folâtre éventail ;
Au départ, ce fut moi qui sur son cou d’ivoire,
Sur son sein demi-nu jetai sa mante noire,
Et, durant tout ce temps, à peine si j’osai
M’apercevoir qu’Alfred avait beaucoup causé.

Mais, quand, deux jours après, las de tant de contrainte,
Au rendez-vous du parc je me glissai sans crainte,
Quand je courus à vous, tout fier et tout joyeux,
Dévorant du regard un regard de vos yeux,
Au lieu de mots charmants comme après une absence,
Et de baisers pour prix de mon obéissance,
D’un ton froid et piqué vous m’avez dit : « Merci :
« Bienheureux est l’amant qui dissimule ainsi !
« Il échappe à l’envie, aux malices jalouses ;
« Il ne compromet point les vierges, les épouses,
« Et son amante en paix ne peut que le louer
« D’un rôle que si vite il sait si bien jouer.
« Et moi je sais aussi dissimuler sans doute ?
« Monsieur Alfred n’est pas un rival qu’on redoute ?
« Mais j’entends quelque bruit ; — (et rompant là-dessus :)
« Vite, séparons-nous de peur d’être aperçus. »

Et comme au bal d’hier, guéri de ma prudence,
Je vous invitai presque à chaque contredanse,
Que je pris vos deux mains, et qu’assis près de vous
J’eus bientôt réveillé tous les clins d’œil jaloux,
Voilà que tendrement vous me grondez encore ;
Ce mutuel amour que votre mère ignore,
Il le faudrait couvrir d’un voile à tous les yeux ;
Puis revient la cousine au rôle officieux ;