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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/136

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POÉSIES

On oublie à ses pieds la pelouse flétrie,
Et la branche tombée et la feuille qui crie,
Trois fois, près de partir, un charme vous retient,
Et l’on dit : « N’est-ce pas le printemps qui revient ? »

Avant la fin du jour il est encore une heure,
Où, pèlerin lassé qui touche à sa demeure,
Le soleil au penchant se retourne pour voir,
Malgré tant de sueurs regrettant d’être au soir ;
Et, sous ce long regard où se mêle une larme,
La nature confuse a pris un nouveau charme ;
Elle hésite un moment, comme dans un adieu ;
L’horizon à l’entour a rougi tout en feu ;
La fleur en tressaillant a reçu la rosée ;
Le papillon revole à la rose baisée,
Et l’oiseau chante au bois en ramage brillant :
« N’est-ce pas le matin ? n’est-ce pas l’Orient ? »

Oh ! si pour nous aussi, dans cette vie humaine,
Il est au soir une heure, un instant qui ramène
Les amours du matin et leur volage essor,
Et la fraîche rosée, et les nuages d’or ;
Oh ! si le cœur, repris aux pensers de jeunesse
(Comme s’il espérait, hélas ! qu’elle renaisse),
S’arrête, se relève avant de défaillir,
Et s’oublie un seul jour à rêver sans vieillir,
Jouissons, jouissons de la douce journée,
Et ne la troublons pas, cette heure fortunée ;
Car l’hiver pour les champs n’est qu’un bien court sommeil :
Chaque matin au ciel reparaît le soleil ;
Mais qui sait si la tombe a son printemps encore,
Et si la nuit pour nous rallumera l’aurore ?