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DE JOSEPH DELORME.

Lui, sûr d’être compris pour la première fois,
Lisant dans vos regards, ému de votre voix,
Se sentirait moins prompt à rompre un nœud qu’il aime,
À refermer sa tombe, à se clore en lui-même ;
Il oublierait qu’il n’est qu’un fantôme incertain,
L’ombre de ce qu’il fut à son riant matin ;
Il vivrait, retrouvant un reste de jeune âge :
Les cieux sont plus brillants le soir d’un jour d’orage !
Il rouvrirait son toit aux songes amoureux,
Et redeviendrait bon, fidèle, et presque heureux.


À MADAME PAULINE F…


Le fleuve Poésie épand ses chastes eaux
Tantôt le long des prés, tantôt dans les roseaux,
Aux flancs des verts rochers que tapisse la vigne,
À travers de grands lacs où navigue le cygne ;
Il devient lac lui-même, et, bien loin des cités,
Sans trace de limon dans ses flots argentés,
Il s’endort et s’oublie en plus d’un golfe sombre,
Sous des bois où jamais midi ne perce l’ombre ;
Il baigne, arrose, emplit de bruits harmonieux
Les saules ignorés, les échos de ces lieux ;
Et tandis que la foule, esclave de la gloire,
Aux endroits fréquentés se presse et croit y boire,
Et, pareille au troupeau qui trouble le courant,
N’y boit que sable et fange ainsi qu’en un torrent,
Loin de là, sur ces bords où tout n’est que silence,
Sur ces tapis de mousse, asile d’indolence,