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DE JOSEPH DELORME.


III


Quand votre père octogénaire
Apprend que vous viendrez visiter le manoir,
Ce front tout blanchi qu’on vénère
De plaisir a rougi, comme d’un jeune espoir.

Ses yeux, où pâlit la lumière,
Ont ressaisi le jour dans un éclair vermeil,
Et d’une larme à sa paupière
L’étincelle allumée a doublé le soleil.

Il vous attend : triomphe et joie !
Des rameaux sous vos pas ! chaque marbre a sa fleur.
Le parvis luit, le toit flamboie,
Et rien ne dit assez la fête de son cœur.

Moi qui suis sans flambeaux de fête ;
Moi qui n’ai point de fleurs, qui n’ai point de manoir,
Et qui du seuil jusques au faîte
N’ornerai jamais rien pour vous y recevoir ;

Qui n’ai point d’arbres pour leur dire
Ce qu’il faut agiter dans leurs tremblants sommets[1],
Ce qu’il faut taire ou qu’il faut bruire ;
Chez qui, même en passant, vous ne viendrez jamais ;

Dans mon néant, ô ma Princesse,
Oh ! du moins j’ai mon cœur, la plus haute des tours ;
Votre idée y hante sans cesse ;
Vous entrez, vous restez, vous y montez toujours.

  1. Se rappeler le vers de Théocrite dans l’Oarisiys :

    Ἀλλάλαις λαλέοντι τεὸν γάμον αἱ κυπάρισσοι.