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DE JOSEPH DELORME.

J’ai mille fois songé que l’Éden en ce monde
Serait de mener là mon Ange aux doux regards ;

De fuir boue et passants, les cris, le vice épars ;
De lui montrer le ciel, la lune éclairant l’onde,
Les constellations dans leur courbe profonde
Planant sur ce vain bruit des hommes et des chars.

J’ai rêvé lui donner un bouquet au passage ;
À la rampe accoudé, ne voir que son visage,
Ou l’asseoir sur ces bancs, d’un mol éclat blanchis ;

Et, quand son âme est pleine et sa voix oppressée,
L’entendre désirer de gagner le logis,
Suspendant à mon bras sa marche un peu lassée.


XII

SONNET


Moi qui rêvais la vie en une verte enceinte,
Des loisirs de pasteur, et sous les bois sacrés
Des vers heureux de naître et longtemps murmurés ;
Moi dont les chastes nuits, avant la lampe éteinte,

Ourdiraient des tissus où l’âme serait peinte,
Ou dont les jeux errants, par la lune éclairés,
S’en iraient faire un charme avec les fleurs des prés[1],
Moi dont le cœur surtout garde une image sainte !

  1. Pieriosque dies et amantes carmina noctes. (Stage.)