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POÉSIES


II

SOUS L’ODÉON


À Auguste Desplaces.


Ô la belle élancée, élégante et nu-tête,
Assise à son comptoir ou bien souvent debout !
On passe, on est charmé ; l’on repasse, on s’arrête :
Elle nous voit à peine, on la voit de partout.

Quoi ? tout le jour ainsi dans l’étroite volière,
Oiseau qu’on croit si libre et pourtant enchainé !
Pour qui donc sa chanson ? pour qui, sous sa paupière,
Ces doux feux qu’elle voile au passant obstiné ?

La jeunesse bourdonne et court sous le portique
Avec de joyeux ris et des regards ardents :
Elle, comme une reine ou la Minerve antique,
Front pur, tête baissée, elle songe au-dedans.

Sans lever ses beaux yeux, quand la foule s’empresse,
Elle pose à deux mains sur son genou léger
Le livre qu’elle lit (c’est, je crois bien, Lucrèce)[1],
Et l’on voit au beau vers son beau doigt s’allonger.

Moins calme eu son boudoir s’assied la noble dame,
Moins à l’aise au désert, à l’ombre des forêts ;

  1. La tragédie de Lucrèce, de Ponsard, était alors dans sa nouveauté.