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JUGEMENTS DIVERS

eut deux ; le premier est du 26 mars 1829, et parut même avant le livre, pour le signaler au public : il est de M. Charles Magnin, ainsi que le second.



Vie, Poésies et Pensées pe Joseph Delorme.


« Voilà, sous un titre bien modeste, un livre qui fera bruit dans peu de jours parmi le petit nombre de personnes qui prennent, comme nous, un sérieux intérêt à la publication d’un nouveau recueil de vers, et se passionnent pour ou contre les hardies tentatives de la nouvelle école. Ces Poésies paraîtront vers la fin de la semaine chez le libraire Delangle. Elles sont précédées, comme fe titre l’annonce, d’une Notice destinée à nous apprendre quelque chose de ce bon Joseph Delorme, que peu de gens ont connu, et qui, au rapport de son biographe, est mort tout jeune l’automne dernier. Nous devons à l’amitié qui nous lie à l’éditeur de ses œuvres d’en pouvoir donner dès aujourd’hui un échantillon. Elles nous paraissent devoir prendre place près des productions les plus vraies, les plus profondément senties, les plus franches d’expression, et en même temps les plus sévères de forme, qui aient paru depuis longtemps. À la perfection de la facture et, il faut le dire, à quelques singularités extérieures, sorte de cocarde arborée, on ne sait pourquoi, par le chef de la jeune école, il est aisé de voir que Joseph Delorme a subi, comme M. Émile Deschamps, d’ailleurs si spirituel et si original, l’influence de M. Hugo dans ce qu’elle a d’excellent et d’inspirateur comme dans ce qu’elle a de puéril. D’ailleurs nulle imitation de sentiment, de pensées, d’images. Il ne se peut rien voir de plus vrai, de plus intime, de plus individuel que le fond de ces Poésies. Joseph Delorme est un esprit rêveur, de la famille de René, de Werther, d’Oberman ; une de ces âmes dépareillées qui ne peuvent s’ébattre ni se reposer nulle part en ce monde ; un de ces êtres que la voix de l’Infini, trop passionnément et trop solitairement écoutée, plonge dans une extase maladive, qui leur rend toute jouissance amère et toute occupation à charge. Jamais, je crois, dans notre langue ce sentiment qui a dicté de si belles et de si douloureuses pages aux auteurs de René, de Delphine, d’Adolphe et d’Édouard, n’avaient encore inspiré un poëte. Ces défaillances de la raison, ces vertiges de l’âme, ces cris d’effroi de l’homme perdu dans le vide du monde,