Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
LES CONSOLATIONS.

Après nous être un peu promenés seul à seul,
Au pied d’un marronnier ou sous quelque tilleul
Nous vînmes nous asseoir, et longtemps nous causâmes
De nous, des maux humains, des besoins de nos âmes ;
Moi surtout, moi plus jeune, inconnu, curieux,
J’aspirais vos regards, je lisais dans vos yeux,
Comme aux yeux d’un ami qui vient d’un long voyage ;
Je rapportais au cœur chaque éclair du visage ;
Et dans vos souvenirs ceux que je choisissais,
C’était votre jeunesse, et vos premiers accès
D’abord flottants, obscurs, d’ardente poésie,
Et les égarements de votre fantaisie,
Vos mouvements sans but, vos courses en tout lieu,
Avant qu’en votre cœur le démon fût un Dieu.
Sur la terre jeté, manquant de lyre encore,
Errant, que faisiez-vous de ce don qui dévore ?
Où vos pleurs allaient-ils ? par où montaient vos chants ?
Sous quels antres profonds, par quels brusques penchants
S’abîmait loin des yeux le fleuve ? Quels orages
Ce soleil chauffait-il derrière les nuages ?
Ignoré de vous-même et de tous, vous alliez…
Où ? dites ? parlez-moi de ces temps oubliés.
Enfant, Dieu vous nourrit de sa sainte parole :
Mais bientôt le laissant pour un monde frivole,
Et cherchant la sagesse et la paix hors de lui,
Vous avez poursuivi les plaisirs par ennui ;
Vous avez, loin de vous, couru mille chimères,
Goûté les douces eaux et les sources amères,
Et sous des cieux brillants, sur des lacs embaumés,
Demandé le bonheur à des objets aimés.
Bonheur vain ! fol espoir ! délire d’une fièvre !
Coupe qu’on croyait fraîche et qui brûle la lèvre !
Flocon léger d’écume, atome éblouissant
Que l’esquif fait jaillir de la vague en glissant !