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PENSÉES D’AOÛT.

Qu’un bruit de blâme humain y va troubler encore ;
Lui (ne l’enviez pas !) jouissant qu’on l’honore ;
Tous les deux, vous avez vieilli !

Oh ! quand, après le charme et les belles années,
L’amitié, déjà vieille, en nos âmes tournées
S’ulcère et veut mourir, oh ! c’est un mal affreux !
Le passé tout entier boit un fiel douloureux.
L’ami qui de nous-même, hélas ! faisait partie,
Qu’en nous tenait vivant le nœud de sympathie,
Cet ami qu’on portait, frappé d’un coup mortel
(J’en parle ayant souffert quelque chose de tel),
Est comme un enfant mort dans nos flancs avant l’heure,
Qui remonte et s’égare et corrompt sa demeure ;
Car il ne peut sortir ! Et ce fardeau si doux,
Qui réchauffait la vie ainsi doublée en nous,
N’est plus qu’un ennemi, le fléau des entrailles.
Pour te guérir alors, à cœur saignant qui railles,
Ce n’est pas l’ironie et le sourire amer
Qu’il faut, triste lueur de tout secret enfer !
Mais c’est un vrai pardon, et non, comme on le nomme,
Un pardon en Dieu seul, mais aussi devant l’homme,
Devant l’ami blessé, s’il se peut ; ne laissant
En lui non plus qu’en nous nul poison renaissant ;
C’est de prier qu’Élie, ou le Dieu de Lazare,
Réveille dans nos flancs cet enfant qui s’égare,
Le rende à notre chair sans plus l’aliéner,
Ou l’aide doucement de nous à s’éloigner.
J’ai souvent, dit Jean-Paul, le funèbre prophète,
Cette fois plus touchant, — j’ai souhaité pour fête
D’être témoin sur terre, attentif et caché,
De tout cœur qu’un pardon aurait soudain touché ;
Et des embrassements où le reproche expire,
Quand l’âme que l’Amour ranime à son empire,