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PENSÉES D’AOÛT.

À l’art dans son choix même et dans sa transparence,
Et plus de soi l’on doute à de fréquents instants.
En cette urne si pleine où les noms éclatants,
Médailles de tout poids à nobles effigies,
Iliades en masse, oboles d’élégies,
Se dressent et nous font l’antique et vrai trésor ;
Dans ce vase où ne tient que l’argent pur ou l’or,
Il me paraît, hélas ! que, vers le tabernacle,
Mon denier, chaque fois qu’il a tenté l’oracle,
D’abord a sonné juste et semblait accueilli,
Et pourtant a toujours à mes pieds rejailli !

Quand même il resterait, quand je pourrais le croire,
Quand tous autour de moi feraient foi de l’histoire,
Et diraient qu’au trésor s’est mêlé le denier ;
Quand le Cénacle saint défendrait de nier,
Tout exprès pour cela réveillé de sa cendre ;
Quand Lamartine ému, qui viendrait de m’entendre,
De sa voix la plus mâle et de son ferme accent
Jurerait que c’est bien ; quand Hugo pâlissant,
De son front sérieux et sombre qu’il balance,
Mieux qu’en superbes mots répondrait en silence ;
Quand Chactas, déridant son cœur de vieux nocher,
À mon vers mieux sonnant se laisserait toucher ;
Si vous, charmant esprit et la fusion même,
Vous, le passé vivant et la langue qu’on aime,
La plus pure aujourd’hui, regrettable demain,
Vous, le goût nuancé glanant sur tout chemin,
Vous, le prompt mouvement et la nature encore,
Si vous restez surpris à l’écho que j’adore,
À cet art, mon orgueil, mes craintives amours,
Si vous n’y souriez, je douterai toujours !