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PENSÉES D’AOÛT.

Des vers tout inquiets et de leur sort chagrins,
Et qui n’auront pas eu de vrais contemporains ;
Qu’est-ce que de tels vers ? j’en souffre et m’en irrite…
Mais la Muse fait signe et me dit Théocrite,
Théocrite qui sut dans l’arrière-saison,
Et quand Sophocle était le même à l’horizon
Que Racine pour nous, en si neuve peinture
Chez les Alexandrins ressaisir la nature.

Ainsi je vais, toujours reprenant au bel art,
Au rebours, je le crains, de notre bon Nisard,
Du critique Nisard, honnête et qu’on estime,
Mais qui trop harcela notre effort légitime.
Il se hâte, il prédit, il devance le soir ;
Il frappe bruyamment le rameau qui doit choir,
Je voudrais l’étayer, et tâcher que la sève,
Demain comme aujourd’hui, sous le bourgeon qui lève
Ne cessât de courir en ce rameau chéri,
Et que l’endroit eût grâce où nous avons souri.

L’Art est cher à qui l’aime, et plus qu’on n’ose dire :
Il rappelle qui fuit, et, sitôt qu’il inspire,
Il console de tout : c’est la chimère enfin.
Pour les restes épars de son banquet divin,
Pour sa moindre ambroisie et l’une de ses miettes,
On verrait à la file arriver les poëtes.
J’irais à Rome à pied pour un sonnet de lui,
Un sonnet comme ceux qu’en son fervent ennui
Pétrarque consacrait sur l’autel à sa sainte.
Pour un seul des plus beaux, j’irais plus loin sans plainte,
Plus joyeux du butin, plus chantant au retour,
Qu’abeille qui trois fois fit l’Hymette en un jour.

Mais, si croyant qu’on soit, plus on porte espérance