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PENSÉES D’AOÛT.


Que dire et que chanter quand la plage est déserte,
Quand les flots des jours pleins sont déjà retirés,
Quand l’écume flétrie et partout l’algue verte
Couvrent au loin ces bords, au matin si sacrés ?

Que dire des soupirs que la jeunesse enfuie
Renfonce à tous instants à ce cœur non soumis ?
Que dire des banquets où s’égaya la vie,
Et des premiers plaisirs, et des premiers amis ?

L’Amour vint, sérieux pour moi dans son ivresse.
Sous les fleurs tu chantais, raillant ses dons jaloux.
Enfin, un jour, tu crus ! moi, j’y croyais sans cesse ;
Sept ans se sont passés !… Alfred, y croyons-nous ?

L’une, ardente, vous prend dans sa soif, et vous jette
Comme un fruit qu’on méprise après l’avoir séché.
L’autre, tendre et croyante, un jour devient muette,
Et pleure, et dit que l’astre, en son ciel, s’est couché.

Le mal qu’on savait moins se révèle à toute heure,
Inhérent à la terre, irréparable et lent.
On croyait tout changer, il faut que tout demeure.
Railler, maudire alors, amer et violent,

À quoi bon ? — Trop sentir, c’est bien souvent se taire,
C’est refuser du chant l’aimable guérison,
C’est vouloir dans son cœur tout son deuil volontaire,
C’est enchaîner sa lampe aux murs de sa prison !

Mais cependant, Ami, si ton luth qui me tente,
Si ta voix d’autrefois se remet à briller,
Si ton frais souvenir dans ta course bruyante,
Ton cor de gai chasseur me revient appeler,