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PENSÉES D’AOÛT.

À ces eaux où se perd le goût de sainte ivresse ;
Il sait le mal, il sait maint funeste récit,
Mais de loin il les sait, la distance adoucit ;
Ailleurs ce qui foudroie, au rivage l’éclaire ;
Chaque ombre à l’horizon rend gloire au sanctuaire ;
Et tout cela lui fait, dès ici-bas meilleur,
Un monde où, par de la, son œil voit l’autre en fleur.

Le sort, ou bien plutôt la Sagesse adorée,
M’a fait ma part plus rude et moins inaltérée.
Ami, j’ai bien ramé, lassé je rame encor,
Sans espoir et sans fin, depuis mon jeune essor,
Depuis ce prompt départ, d’où mes gaietés naïves
Voyaient au ciel prochain jouer toutes les rives.
Ce que j’ai su d’amer, d’infidèle et de faux,
Et, pour l’avoir trop su, ce que de moins je vaux,
Ce qui me tache l’âme, Ami, tu le devines,
Rien qu’aux simples clartés des paroles divines.
Oh ! combien différent de ces après-midis,
De ces jours où j’allais avec toi, les jeudis,
Où nous allions, tout près, au vallon du Denacre,
Y cherchant la Tempé que Virgile consacre,
Ou bien à Rupenbert pour y cueillir les fruits,
Ou plus loin, vaguement par nos discours conduits,
Aux falaises des mers, à l’Océan lui-même,
Immense, répondant à l’immense problème !
Nous le posions déjà ce problème lointain,
Comme au temps des Félix[1] et des saint Augustin,
D’une tendre pensée, à la leur assortie,
Recommençant tous deux les entretiens d’Ostie.
Oh ! combien différent je repense à ces bords !
Moins différent pourtant qu’il ne semble ; et dès lors
Plus d’un trait à l’avance eût prédit notre histoire,

  1. Se rappeler l’Octavius de Minutius Felix.