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PENSÉES D’AOÛT.

Le moqueur excellent se désarme, et s’étonne
Qu’on trouve au vieil auteur tant de nouveaux accès,
Et qu’on dise toujours aussi net en français.

Les Latins, les Latins, il n’en faut pas médire ;
C’est la chaîne, l’anneau, c’est le cachet de cire,
Odorant, et par où, bien que si tard venus,
À l’art savant et pur nous sommes retenus.
Quinet en vain s’irrite[1] et nous parle Ionie ;
Edgar, noble coursier échappé d’Hercynie,
Qui hennit, et qui chante, et bondit à tous crins,
Les sommets chevelus trop amoureux, je crains.
Il méprise, il maudit, dans sa chaude invective,
Tout ce qui n’atteint pas la Grèce primitive,
Ce qui droit à l’Ida ne va pas d’un vol sûr ;
Il ne daigne compter Parthénope ou Tibur.
Certes, la Grèce antique est une sainte mère,
L’Ionie est divine : heureux tout fils d’Homère !
Heureux qui, par Sophocle et son Roi gémissant,
S’égare au Cithéron, et tard en redescend !
Et pourtant des Latins la Muse modérée
De plain-pied dans nos mœurs a tout d’abord l’entrée.
Sans sortir de soi-même, on goûte ses accords ;
Presque entière on l’applique en ses plus beaux trésors ;
Et, sous tant de saisons qu’elle a déjà franchies,
Elle garde aisément ses beautés réfléchies.
Combien d’esprits bien nés, mais surchargés d’ailleurs
De soins lourds, accablants, et trop inférieurs,
Dans les rares moments de reprise facile,
D’Horace sous leur main ou du tendre Virgile
Lecteurs toujours épris, ne tiennent que par eux
Au cercle délicat des mortels généreux !

  1. Revue des Deux Mondes, août 1836.