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PENSÉES D’AOÛT.

L’inconnu n’était pas ce qu’il voulait paraître,
Son grand air soutenu, son souris haut et lent,
En lui de notre ami tout ce portrait parlant,
Ce goût de pittoresque et de belle nature
Qui si souvent suppose en un cœur la culture,
Ces langues qu’il possède en familier accès
(Car ma fille assurait qu’il parlait bien français),
Que fallait-il ? enfin, son entière apparence
Près de ces pauvres gens qui lui font déférence.

Une fois, le mari, par trop de libre humeur,
Lui présenta sa pipe, et le noble fumeur
Avec dégoût la prit, hâté de la lui rendre.
À manger, lorsqu’entre eux ils commençaient d’étendre
Le papier tout farci de leur grossier repas,
Ils s’y jetaient ;… à lui, rien ;… ils n’en offraient pas.

Le premier jour ainsi se passa, le jeune homme
Plus épris du grand fleuve et des bords qu’on renomme,
Que de la pauvre femme, et celle-ci sans fin
Occupée à lui seul ! Je m’intriguais en vain.

À Coblentz arrivés, le soir, d’assez bonne heure,
Quand la foule s’attable à l’auberge et demeure,
J’allai vers la Moselle, autre beau flot courant,
Voulant me reposer du Rhin sévère et grand.
Au retour, vers la nuit, dans la ville qui monte
Nous perdions le chemin, quand tout d’un coup le Comte
(Ma fille et moi toujours nous lui donnions ce nom)
Apparut devant nous, servant de compagnon
À cette même femme, en ce moment coquette,
Ayant refait depuis un reste de toilette,
Et semblant à son bras fière d’un honneur tel !
Je demandai tout droit en français notre hôtel :