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PENSÉES D’AOÛT.

Il repartit d’un ton piqué de violence
(Comme dans son secret un homme qu’on relance)
Qu’il ne comprenait pas ; je lui refis mon dit
En allemand alors, auquel il répondit.
Mais je pus remarquer, même à la nuit obscure,
La femme intéressante et sa tendre figure,
Fatiguée, il est vrai, non plus jeune d’ailleurs,
Et tout usée aussi par de longues douleurs,
Mais surtout dans l’instant glorieuse, étonnée
De paraître à ce bras, et comme illuminée !

Le lendemain matin, la scène du bateau
Fut autre : le jeune homme eut un soin tout nouveau,
Un soin, s’il n’était pas celui de l’amour même,
Compatissant du moins pour l’être qui nous aime.
Vint la pluie ; il lui tint sa pauvre ombrelle au vent ;
Il serrait de ses mains le manteau voltigeant.
Entre ses deux genoux, leur disant des histoires,
Il gardait bien longtemps les enfants aux mains noires,
Et les grondait, si seuls ils approchaient du bord.
On offrit des raisins, mais fort chers, et d’abord
J’allais en refuser aux désirs de ma fille ;
Il en achetait, lui, pour la pauvre famille.

Durant une éclaircie, elle ôta son chapeau,
Déploya ses cheveux, son trésor le plus beau,
Releva sa paupière au rayon éblouie,
Et ce manteau, tombant tout chargé par la pluie,
Laissa voir une taille, un élégant débris
De jeunesse et de grâce, et dès lors je compris.

Les vieux châteaux passaient sans qu’on les comptât guère ;
Mais, quand ce fut celui d’un puissant de la terre,