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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/607

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PENSÉES D’AOÛT.

Jamais, jamais assez, Ô sainte hospitalière !
Mais ce que Raphaël en sa noble manière
Ne dit pas, c’est qu’au cœur elle a souvent son mal,
Elle aussi, quelque plaie à l’aiguillon fatal ;
Pourtant, comme à l’insu de la douleur qui creuse,
Chaque orphelin qui vient enlève l’âme heureuse !

Et nous pouvons ainsi sans blasphème, Elle et moi
Toucher à ces objets de prière et de foi.
Souffrir et nous sevrer, aimer nos chemins sombres,
C’est là notre lot même en ce monde des ombres.
Les plus gais de nos jours et les mieux partagés
Sont ceux encore où seuls, et loin des yeux légers.
Dans les petits sentiers du lointain cimetière
Ensemble nous passons une heure tout entière.
En ce lieu qui pour nous garde des morts sacrés,
Nos pas sont lents et doux, nos propos murmurés ;
Rarement le soleil, débordant sur nos têtes,
Rayonne ces jours-là ; de nos timides fêtes
Les reflets mi-voilés ont gagné la saison :
C’est vapeur suspendue et tiède maison[1].
Si quelque veuve en deuil dans le sentier se montre,
Un cyprès qu’on détourne évite la rencontre.
La piété funèbre, errant sous les rameaux,
Donne au bonheur discret le souvenir des maux,
Le prépare à l’absence ; et quand, l’heure écoulée,
On part, — rentré chacun dans sa foule mêlée,
On voit longtemps encor la pierre où l’on pria,
Et la tombe blanchir sous son acacia !


  1. Limes erat tenuis longa subnubilus umbra.
    Ovide.