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UN DERNIER RÊVE.

On parlait de la mort : un ami n’était plus[1],
Un ami comme un frère, un de ces cœurs élus
Au sein de la famille, et dont les destinées
Sans effort, sans retour, se sont d’abord données,
On parlait de la mort, et le grave entretien
Sur l’homme et son néant, sa misère et son rien,
S’élevait par degrés ; on disait que la vie,
À de fatales lois en naissant asservie,
Ne brillait que par place et pour de courts instants :
Que tous ces mots du jour, superbes, éclatants,
De progrès, de puissance et de grandeur humaine,
N’étaient que flatterie, ostentation vaine ;
Que, dès que la Nature aux extrêmes climats,
Dans l’excès des soleils ou l’excès des frimas
Se mêlait de régner, et comme un monstre immense,
Accusant sourdement l’effort qui recommence,
Hors d’elle déchaînait les soupirs ennemis
Et remettait en jeu les germes endormis,
Tout mourait ; et qu’alors l’homme chétif, malade,
Ce nain précipité du ciel qu’il escalade,
Ces générations de clameur et d’orgueil
Jonchaient chaque pavé dans les cités en deuil,
Comme ces moucherons nés d’un rayon d’automne,
Et morts au soir serein, sitôt que l’air frissonne.

Et lorsqu’on eut parlé presque avec désespoir,
La vierge au front charmant, au simple et doux savoir,
Comme pour corriger la vision funeste
Éleva tout d’un coup sa parole modeste
Qu’accompagnait si bien son tendre regard bleu,
L’un de ces purs regards qui prouvent l’âme et Dieu ;

  1. Un ami, officier distingué, mort des fièvres en Algérie.