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DE JOSEPH DELORME


LE CÉNACLE


Quand vous serez plusieurs réunis en mon nom, je serai avec vous.


En ces jours de martyre et de gloire, où la hache
Effaçait dans le sang l’impur crachat du lâche
Sur les plus nobles fronts ;
Où les rhéteurs d’Athène et les sages de Rome
Raillaient superbement les fils du Dieu fait homme
Qu’égorgeaient les Nérons,

Quelques disciples saints, les soirs, dans le cénacle
Se rassemblaient, et là parlaient du grand miracle,
À genoux, peu nombreux,
Mais unis, mais croyants, mais forts d’une foi d’ange :
Car des langues de feu voltigeaient, chose étrange !
Et se posaient sur eux.

Moins mauvais sont nos jours. Pourtant on y blasphème,
Et des railleurs encor lancent leur anathème
Au Dieu qu’on ne voit pas.
Si le poëte saint, apôtre du mystère,
Descend, portant du ciel quelque chose à la terre :
 « Où court-il de ce pas ?

« Que nous veut ce chanteur dans sa fougue insensée ? »
Et voilà qu’un mépris fait rentrer la pensée
Au cœur qui la cachait,
Comme au penchant des monts l’hiver qui recommence
Suspend l’onde lancée et la cascade immense
Qui déjà s’épanchait.