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POÉSIES


Que faire alors ? se taire ?… oh ! non pas, mais poursuivre,
Mais chanter, plein d’espoir en Celui qui délivre,
Et marcher son chemin ;
Puis les soirs quelquefois, loin des moqueurs barbares,
Entre soi converser, compter les voix trop rares
Et se donner la main ;

Et là, le fort qui croit, le faible qui chancelle,
Le cœur qu’un feu nourrit, le cœur qu’une étincelle
Traverse par instants ;
L’âme qu’un rayon trouble et qu’une goutte enivre,
Et l’œil de chérubin qui lit comme en un livre
Aux soleils éclatants,

Tous réunis, s’entendre, et s’aimer, et se dire :
Ne désespérons point, poëtes, de la lyre,
Car le siècle est à nous. —
Il est à vous ; chantez, ô voix harmonieuses,
Et des humains bientôt les foules envieuses
Tomberont à genoux.

Parmi vous un génie a grandi sous l’orage,
Jeune et fort ; sur son front s’est imprimé l’outrage
En éclairs radieux ;
Mais il dépose ici son sceptre, et le repousse ;
Sa gloire sans rayons se fait aimable et douce
Et rit à tous les yeux.

Oh ! qu’il chante longtemps ! car son luth nous entraîne,
Nous rallie et nous guide, et nous tiendrons l’arène,
Tant qu’il retentira ;
Deux ou trois tours encore, aux sons de sa trompette,
Aux éclats de sa voix que tout un chœur répète,
Jéricho tombera !