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DE JOSEPH DELORME

Tous les blés ne sont pas dévorés par l’ivraie ;
Un bluet, un pavot, mariant leurs couleurs.
Ont reposé notre œil et distrait nos douleurs ;
Des vents jaloux parfois a sommeillé la rage,
Et le soleil de loin a joué dans l’orage.

Mais plus tard tout s’éteint ; la foudre est sans éclat ;
Au devant un sol gris, au-dessus un ciel plat ;
Un calme qui vous pèse, un air qui vous enivre ;
La vie est commencée, on achève de vivre.
Oh ! prévenons ce temps (mieux nous vaudrait mourir) !
Et, si des maux soufferts les cœurs peuvent guérir ;
S’ils peuvent oublier ;… si la marche est légère,
Lorsqu’étendant la main on touche une main chère,
Lorsqu’au sein de la foule, ou dans un bois profond,
Une âme inséparable à notre âme répond ;…
Si deux sources d’eau vive en naissant égarées,
Arrivant au hasard de lointaines contrées,
Après avoir, aux bords des rochers déchirants,
En cascades bondi, grondé comme torrents,
Avoir vu sous les monts des voûtes obscurcies,
Baigné des lits fangeux et des rives noircies,
Lasses enfin d’errer toujours et de gémir,
Peuvent en un lac bleu se fondre et s’endormir,
Et, sous l’aile du vent qui rase l’onde unie,
Enchanter leurs roseaux d’une longue harmonie…
Mais, pardon ! je m’égare ; on a fini, je crois,
Et le piano qui meurt, ne couvre plus ma voix ;
Et vos regards distraits, et votre main pendante,
Tout me dit de calmer une ardeur imprudente.
Adieu, demain je pars : ayez de meilleurs jours ;
C’est pour dix ans peut-êre encore,… ou pour toujours !