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PORT-ROYAL.

supérieur ; celui-ci ne tarda pas à conduire M. Ferrand au Cloître Notre-Dame. Mais le jeune homme n’osa profiter lui-même de l’occasion et demander, comme il nous le dit, à être de la partie. Retard touchant ! premier jeûne du cœur ! Le voilà déjà qui introduit un autre et qui se dérobe. Le saint guide, par cette privation qu’il s’en faisait, ne lui demeurait que plus présent en idée. Il se proposait bien de s’aller jeter à ses pieds, aussitôt les études finies, et, en attendant, il l’avait déjà tout à fait pour directeur habituel et invisible dans la voie du salut. Quelle page rendrait mieux que celle qui suit les progrès cachés d’une âme filiale, cette sobriété fructueuse qui est si parfaitement dans l’esprit chrétien ? Il n’y a plus là de coup d’éclat, mais une beauté morale voilée, bien digne aussi, ce me semble, d’être regardée et aimée dans chaque nuance :

«Cet ami (M. Ferrand) venoit deux ou trois fois tous les ans à Paris, et il ne manquoit pas d’aller rendre ses devoirs à M. de Saint-Cyran. J’étois fort soigneux d’apprendre ensuite ce qui s’étoit passé dans leur entretien ; et cela me servoit de nourriture jusqu’à un autre voyage, repassant souvent dans mon cœur ce que mon ami m’avoit dit de ce grand Serviteur de Dieu, sans en rien témoigner à personne. Quelquefois même que M. de Saint-Cyran ne lui disoit rien et ne répondoit pas aux questions qu’il lui avoit faites, nous ne laissions pas de nous édifier autant de son silence que de ses discours, parce que l’on voyoit que la charité régloit tous ses mouvements, et que, s’il ne répondoit point, c’étoit que le temps et la disposition des personnes ne lui sembloient pas propres pour parler sur certaines matières. Ainsi, admirant sa sainteté et sa prudence, nous jugions par sa retenue de ce qu’il avoit dans le cœur, et nous demandions à Dieu les dispositions où il falloit être pour profiter des instructions de son Serviteur. Nous entretenant donc de ces réflexions, nous jugions de nos défauts par la comparaison que nous en faisions avec ses vertus ; nous reconnoissions la foiblesse de la plupart des hommes en ces derniers temps,