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LIVRE DEUXIÈME.

par le peu de proportion qu’ils avoient avec la solidité de ses pensées, et nous nous enflammions de plus en plus dans le désir de nous approcher de lui et de le connoître[1]

Conçoit-on un plus beau fruit, une plus chère bénédiction de l’œuvre de M. de Saint-Cyran, que cette direction invisible, inconnue à lui-même, et qui émanait de toutes parts autour de lui ?

Après divers retards et des hésitations encore, un jour, sur la fin de son cours de philosophie qu’il suivait au Collège de La Marche, le jeune Lancelot, obéissant à un plus violent désir, sortit de sa classe et alla seul chez M. de Saint-Cyran, qui demeurait déjà près des Chartreux (Luxembourg). Il se disait en allant ; « S’il est homme de bien autant que je m’imagine et que mon dessein soit de Dieu, il est impossible qu’il me rejette, et, s’il ne me reçoit pas, au moins je saurai par là la volonté de Dieu.» Il ne le trouva point au logis, et d’autres occupations survenant, la rencontre fut de nouveau ajournée à quelques mois. Dans l’intervalle il lui fit parler par un ami[2], et M. de Saint-Cyran, bien qu'en général assez peu disposé à accueillir tout d’abord ces sortes d’ouvertures, répondit aussitôt : «Oui, faites-le venir, je me sens disposé à le voir.» Il avait pour règle de ne se prononcer que dans certains mouvements et sentiments pressants ; il prenait alors ses réponses sur-le-champ, comme il dit ; autrement il aimait mieux se taire. Cette fois il avait parlé : Lancelot, laissant passer deux ou trois jours qui étaient de fête, courut chez lui le mercredi matin, lendemain de la Saint-Louis. Il

  1. Mémoires de Lancelot, t. I, page 11.
  2. Un M. Gaudon, qui fut des premiers solitaires, à cette époque même, mais peu intéressant, et qui ne persévéra pas. — Nos adversaires qui ne perdent rien disent de lui au contraire : « Dieu lui fit la grâce de ne pas persévérer.»