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LIVRE PREMIER

ce qui fit que le roi la trouva bien grande pour son âge. « La modestie du roi fut telle, dit la naïve Relation, qu’il témoigna à M. Arnauld qu’il n’était entré dans l’abbaye qu’à cause qu’il l’avait su là, et qu’autrement il aurait eu peur de troubler ces bonnes filles. » Il promit de venir dîner le lendemain, mais la chasse l’ayant porté ailleurs, il fit dire ses excuses, et ne put que crier lui-même de dessus son cheval en passant dans les hauts champs, tout contre les murs : « Le roi baise les mains à madame l’abbesse ! » Voilà le pendant plus modeste et presque dévotieux de la visite à Maubuisson.

Le temps se passa ainsi depuis 1602 jusqu’en 1607. La jeune abbesse, en avançant en âge, commençait à prendre sa profession et son avenir en dégoût. L’amour-propre pourtant chez elle dissimulait ; elle portait ce joug insupportable en se divertissant de son mieux, nous dit-elle, sans confier sa peine à qui que ce fût et en affectant bonne contenance. Lorsque des personnes étrangères lui insinuaient qu’ayant fait sa profession avant l’âge, elle s’en pouvait dédire, loin de donner dans cette idée, elle s’en choquait presque ; et en effet quelque chose l’avertissait au fond, ajoute-t-elle, qu’elle ne pouvait quitter sa condition sans se perdre, qu’il n’y avait point de loi qui la dispensât d’être à Dieu, et qu’il lui avait fait trop d’honneur de la prendre pour lui. Ces idées sur la sainteté de sa profession se mêlaient, sans qu’elle comprît comment, à une vie aussi païenne et profane qu’elle la pouvait mener avec convenance. Elle allait visiter des voisins en compagnie d’une ou de plusieurs religieuses, et l’on commençait à lui rendre ses visites. Madame Arnauld apprit ces licences que sa fille se donnait, et lui en fit un jour des reproches avec larmes : ce qui augmenta l’angoisse secrète de la jeune abbesse de se voir réduite à continuer à jamais cette vie religieuse si mélancolique à son gré, ou, en la rom-