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LIVRE PREMIER

toucha tellement, que, dès ce moment, je me trouvai plus heureuse d’être religieuse que je ne m’étais estimée malheureuse de l’être, et je ne sais ce que je n’aurais pas voulu faire pour Dieu, s’il m’eût continué le mouvement que sa Grâce me donna.» Cette heure, est-il dit encore, fut comme le point du jour qui a toujours été croissant en elle jusqu’au midi.

De grandes crises suivirent, comme c’est l’ordinaire dans ce travail de la Grâce, même là où il est le plus soudain. Depuis ce soir du sermon prêché par le Père Basile au Carême de 1608, jusqu’au 25 septembre de l’année suivante, autre mémorable journée, comme on le verra bientôt, la vie de la mère Angélique fut une lutte et une angoisse continuelle, une angoisse en dedans par ses scrupules, ses désirs et ses mélanges de terreur et de ferveur, une lutte autour d’elle avec ses religieuses, ses supérieurs et sa famille, qui tous, plus ou moins, s’opposaient à l’accomplissement de ce qu’elle avait conçu.

Le premier obstacle à cette réforme eût été le Père Basile lui-même, qui en était l’instrument. Heureusement l’abbesse, le trouvant un peu jeune pour elle qui n’avait que seize ans et demi, ne s’adressa pas sur l’heure à lui en particulier, et se contenta de le faire remercier par une de ses sœurs. Depuis, elle apprit qu’il était extrêmement déréglé et une vraie cause de désordre au sein de plusieurs maisons religieuses où il avait été introduit. Se contenant donc en elle-même, elle commença d’agiter des projets de changement et de haïr derechef sa condition, non plus de religieuse, mais d’abbesse, par des motifs tout opposés aux anciens. Elle aurait voulu fuir à cent lieues, se cacher de tous, ne plus jamais voir aucun des siens, quoiqu’elle les aimât, et vivre n’importe où en sœur converse, n’étant connue que de Dieu. Cette lutte renfermée dura jusqu’à