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PORT-ROYAL

M. Arnauld, tout intègre qu’il était, n’y regardait pas de si près ce jour-là. Les mondains sont de tout temps les mêmes sur certains chapitres : moins la vérité en soi, que la considération ; moins la vertu, que l’honneur.

La jeune abbesse revint toutefois à son monastère plus résignée de pensée, et y fut reçue par ses religieuses avec une amitié qui la toucha. Elle demeura tout l’hiver très-faible de santé encore. Au Carême de 1608, ayant envie de lire et n’osant faire choix de lecture profane, elle en demanda une de dévotion, mais qui ne fût pas trop pénible. Une religieuse, la dame de Jumeauville, que madame Arnauld avait dès longtemps fait placer près d’elle pour la surveiller, lui donna comme très-beau un livre de Méditations que des Capucins, en venant prêcher au monastère, avaient tout dernièrement apporté. Ce livre, si simple qu’il fût, parut beau également à la jeune Angélique, et elle y trouva quelque sujet de consolation.

Ce fut alors que son jour marqué arriva. À peu de temps de cette lecture, un capucin, le Père Basile, survenant vers la nuit, demanda à prêcher. L’abbesse, qui rentrait d’une promenade au jardin, jugea qu’il était tard ; puis, se ravisant, elle y consentit. Elle aimait assez à entendre ces prédications de passage, et y trouvait parfois une diversion aux sermons assez pitoyables ou ridicules que venaient faire, aux grandes fêtes, les écoliers des Bernardins. La Communauté se rendit au sermon du capucin, comme il était déjà nuit. Il prêcha, à ce qu’il paraît, des anéantissements et des humiliations du Fils de Dieu en sa naissance et dans sa crèche. Ce qu’il dit, au reste, l’abbesse, est-il rapporté, ne s’en souvint pas précisément et n’aurait pu le rendre, même à peu près. Ce qui est certain, c’est qu’une grande action s’opéra : «Pendant ce sermon, dit-elle, Dieu me