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PORT-ROYAL

alors aussi à lui parler avec tendresse du passé, de ce qu’il avait fait pour elle, de l'intérêt avec lequel il l’avait toujours portée dans son cœur ; que dorénavant c’en était fait à jamais, qu’il ne la reverrait plus ; mais qu’en cette dernière fois, et pour dernière parole, il n’avait plus qu’à la conjurer du moins de se conserver elle-même et de ne pas se ruiner par d’indiscrètes austérités.

Ces paroles furent la grande épreuve, et leur tendre accent fut le plus rude de l’assaut. Tant que M. Arnauld avait été violent et en colère, elle avait pu rester ferme et maîtresse d’elle-même ; mais, dès ce moment où elle le vit dans toute l’affection et les larmes d’un père, elle se trouva plus faible, insuffisante à résister ; et, sentant qu’il ne fallait pas céder pourtant, dans cette lutte trop longuement accablante elle perdit tout d’un coup connaissance, et tomba par terre évanouie.

Cet évanouissement de la mère Angélique en présence de son père a été rapproché de celui d’Esther devant Assuérus :

ASSUÉRUS.

… …Sans mon ordre on porte ici ses pas !
Quel mortel insolent vient chercher le trépas ?

ESTHER.

Mes filles, soutenez votre reine éperdue :
Je me meurs.

(Elle tombe évanouie.)

ASSUÉRUS.

Dieux puissants ! quelle étrange pâleur
De son teint tout à coup efface la couleur !
Esther, que craignez-vous ? Suis-je pas votre frère ?
Est-ce pour vous qu’est fait un ordre si sévère ?
Vivez : le sceptre d’or que vous tend cette main,
Pour vous de ma clémence est un gage certain.

ESTHER.

Quelle voix salutaire ordonne que je vive,
Et rappelle en mon sein mon âme fugitive ?