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LIVRE PREMIER

Que si l’on envisage le côté pathétique et profond, la valeur morale de cette scène, la grandeur et la sincérité des sentiments en présence, ce combat de la nature et de la Grâce, et le triomphe de celle-ci, il me semble qu’il y a sujet de sortir du privé et du domestique, de ce qui n’est que du cloître et de la famille Arnauld, d’en sortir, ou plutôt de s’en emparer librement, pour embrasser le fond même et la source, pour se porter à toute la hauteur des plus dignes comparaisons. J’ai déjà prononcé le nom de Polyeucte. Le Polyeucte de Corneille n’est pas plus beau à tous égards que cette circonstance réelle produite durant le bas âge du poète, et il n’émane pas d’une inspiration différente. C’est le même combat, c’est le même triomphe ; si Polyeucte émeut et transporte, c’est que quelque chose de tel était et demeure possible encore à la nature humaine secourue. Je dis plus : si Polyeucte a été possible en son temps au génie de Corneille, c’est que quelque chose existait encore à l’entour (que Corneille le sût ou non) qui égalait et reproduisait les mêmes miracles.

Il faut oser ici approfondir, démontrer ; et, sans bravade, je ne crains pas, pour mon cloître à peine renaissant, ce moment de vis-à-vis avec Corneille.