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PORT-ROYAL

rosse, et s’en vint droit à Port-Royal embrasser sa fille, et lui conter l’allégement de conscience qui la ramenait. N’admirons-nous point, à chaque pas du récit, les caractères soutenus, et imprévus en même temps, de ces natures naïves et fortes ? On en sourit, ce me semble, et l’on en pleure, comme à une tragi-comédie de Corneille. J’ajouterai (car nul trait n’est à perdre en ce détail excellent) que la mère Angélique fut si comblée de joie au retour inopiné, que, de son aveu, il ne se passa point d’année qu’elle ne se souvînt de ce jour du 4 août, qui lui avait rendu l’embrassement de sa mère.

Quant à la journée du 25 septembre 1609, on la baptisa solennellement dans les fastes de Port-Royal la Journée du Guichet, comme on dit dans l’histoire de France la Journée des Barricades, la Journée des Dupes. La mère Angélique, à partir de là, ne trouva pas plus d’opposition à ses desseins de réforme que Louis XIV à dater du jour où il entra tout botté au Parlement. Ç’avait été le coup d’État de la Grâce.

Saluons donc, avec la seconde mère Angélique qui nous en a laissé le plus complet récit[1], cette vraiment mémorable Journée du Guichet, si pleine effectivement de conséquences. Sans ce qu’on appelle la Journée des Dupes, Richelieu ne triomphait pas, et c’en était fait du futur équilibre de l’Europe : sans notre Journée du Guichet, cette réforme, depuis si fameuse et si fertile, avortait en naissant, et il n’y avait pas de Port-Royal, c’est-à-dire, il n’y avait pas quelque chose, dans le monde et dans le dix-septième siècle, de tout aussi important que Richelieu. Littérairement, pour nous en tenir là, il n’y avait pas de Provinciales, et Pascal n’avait plus lieu de fixer par ce chef-d’œuvre l’équilibre de la prose française.

  1. Au tome 1er des Mémoires pour servir à l’Histoire de Port-Royal, 3 vol. in-12 ; Utrecht, 1742.