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LIVRE PREMIER

voyages à Paris, dans ses visites à l'hôtel de Rambouillet, il n’ait connu M, d’Andilly, lequel connaissait tout le monde. Quand la famille Pascal, avant sa conversion, il est vrai, et avant ses relations avec Port-Royal, habitait Rouen, en 1639, à cette époque où M. Pascal père était chargé de l’intendance de Normandie, M. Corneille les vit souvent. La jeune Jacqueline Pascal, celle qui devint depuis à Port-Royal la sœur Euphémie, avait une rare facilité pour les vers. Nous aurons à dire dans sa vie comment elle joua un jour dans une comédie d’enfants devant le cardinal de Richelieu, comment elle lui fit son petit compliment d’elle-même, avec grande présence d’esprit, et obtint de lui la grâce de son père compromis dans des propos de mécontents, enfin comment, à Saint-Germain, elle adressa un impromptu en vers à Mademoiselle. Quand son père, rétabli en place vraiment grâce à elle, vint à Rouen avec sa famille, elle avait quatorze ans déjà, et sa petite renommée poétique l’avait précédée. M. Corneille, auteur du Cid depuis trois ans, et qui n’en avait que trente-trois, ne manqua pas d’être l’empressé et le bienvenu chez M. l’Intendant. Il était ravi des vers que faisait la précoce enfant, et il la pria d’en essayer sur un sujet qui eût été assez singulièrement choisi pour une jeune fille, s’il n’avait été consacré par l’usage, la Conception de la Vierge. C’était le jour même de cette fête qui était comme nationale et qu’on appelait la Fête aux Normands, qu’en vertu d’une fondation datant du Moyen-Age, on décernait à Rouen des prix de poésie aux meilleures pièces composées en l’honneur de la Dame des Cieux; cela avait nom les Palinods de Rouen. La jeune Jacqueline fit des Stances[1] qui obtinrent le prix, et on le lui porta

  1. Des vers de bel-esprit, mais détestables : on les a. Le bon Besoigne, qui les cite (Histoire de l’Abbaye de Port-Royal, t. III,