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PORT-ROYAL

ces genres surannés par une tentative classique et grecque, les sujets chrétiens cédèrent naturellement le pas à des sujets antiques : les Grecs et les Romains firent leur entrée sur notre théâtre et y mirent le pied pour longtemps ; la famille des Atrides, Agamemnon en tête, nous arriva à toutes voiles. Ce fut, comme on disait, toute une flottille de héros d’Ilion ; Francus ramenait Hector. Il y eut pourtant, même dans cette école, quelques essais de tragédie sacrée, et j’y rapporte le Sacrifice d’Abraham de Théodore de Bèze[1].

Mais cette école contemporaine et corrélative de Ronsard, au théâtre, dura peu, et se produisit dans les collèges ou quelquefois à la Cour, plutôt qu’elle ne s’implanta profondément à la ville et devant le peuple. Pour celui-ci, les vieilles farces et les vieux sujets remaniés plus ou moins grossièrement n’avaient pas cessé. À la renaissance vraie du théâtre au temps de Henri IV (car à cette époque, université, religion, société polie, théâtre, il y eut sur tous les points toutes les sortes de renaissances), sous Hardi et ses successeurs immédiats, le genre des sujets religieux et chrétiens ne s’était pas reproduit, ou l’avait été sans aucun éclat. L’héritage des mystères et des martyres à la scène était donc à peu près oublié et perdu en France, quand Corneille, soit qu’il en ait repris l’idée dans la lecture des Espagnols et de ce qu’ils, appellent comédies sacrées, soit qu’il ait été mis sur la voie par ces tristes pièces, le Saül de Du Ryer ou le Saint Eustache de Baro, qui sont toutes deux de 1639, soit plutôt qu'il n’ait puisé le motif qu’en lui-même, en son génie naïvement religieux, et dans ces vagues rumeurs des questions de la Grâce qui grondaient à l’entour, rou-

  1. J’avais d’autant plus droit de m’en souvenir que cette pièce fut précisément écrite par Théodore de Bèze à l’intention des étudiants de Lausanne et pour être représentée par eux, ce qui eut lieu en effet vers 1551-1552.