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PORT-ROYAL

l’entraîner : il reste humain encore et sage ; mais plus sympathique que jamais, il s’écrie :

Qui ne serait touché d’un si tendre spectacle ?
De pareils changements ne vont point sans miracle.
Sans doute vos Chrétiens qu’on persécute en vain
Ont quelque chose en eux qui surpasse l’humain ;
...........
Je les aimai toujours, quoi qu’on m’en ait pu dire ;
Je n’en vois point mourir que mon cœur n’en soupire,
Et peut-être qu’un jour je les connaîtrai mieux.

Il se reprend pourtant ; et, gardant sa mesure, sa limite humaine et strictement philosophique, il ajoute aussitôt :

J’approuve cependant que chacun ait ses Dieux.

Sévère est donc, dans cette pièce, l’idéal, sous l’Empire, de l’honnête homme païen, déjà entamé et touché, du philosophe stoïcien à la Marc-Aurèle, mais plus ouvert, plus accessible et compatissant. À entendre sa dernière tirade, ce mélange d’aveux et de réticences, cet hommage presque entier et non définitif que lui arrache l’apparence divine du Christianisme, on croit saisir déjà l’écho de cette belle, mais inconséquente parole, qu’avant et depuis le Vicaire Savoyard, agitent et retournent, rongent en tout sens, les spiritualistes, les déistes, et les plus nobles des sages humains :

«Si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu.»

Tous les plus élevés parmi les vertueux humains depuis la Venue, parmi ces témoins incomplets qui s’arrêtent au seuil, murmurent cela, et Sévère déjà le confesse.

Voilà dans un personnage de grandes beautés ; elles y sont, ce n’est pas la subtilité qui les découvre, le moindre coup-d’œil de réflexion suffit. Mais jusqu’à