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LIVRE PREMIER

être à Polyeucte sans infidélité secrète du cœur, sans souffrance ni flamme cachée. Sévère revient : Pauline le revoit et soupire tout bas, même tout haut ; mais elle n’aime pas moins Polyeucte, toute son inquiétude n’est pas moins pour lui, à propos de ce songe qu’elle a fait. Lorsqu’au quatrième acte Polyeucte, près de mourir, la voudra rendre à Sévère, elle refusera par dévouement, par délicatesse, et simplement aussi par amour pour son époux ; elle s’écriera d’un cri du cœur :

Mon Polyeucte touche à son heure dernière !

On lit chez madame de Sévigné[1]: «Madame la Dauphine disait l’autre jour, en admirant Pauline de Polyeucte : Eh bien ! voilà la plus honnête femme du monde qui n’aime point du tout son mari.» Ce qui me frappe au contraire, les antécédents étant donnés, c’est comme elle l’aime. La raison qui l’a tirée de son inclination première, l’a conduite à l’affection conjugale. Car au milieu des exaltations de langage et de croyance, à travers ce songe mystérieux et ces coups de la Grâce, au fond, la raison règle et commande ce caractère si charmant, si solide et si sérieux de Pauline, une raison capable de tout le devoir dévoué, de tous les sacrifices intrépides, de toutes les délicatesses mélangées ; une raison qui, même dans les extrémités les plus rapides, lui conserve une sobriété parfaite d’expression, une belle simplicité d’attitude : tout par héroïsme, rien par entraînement. Rien d’égaré ni d’éperdu. C’est assez comme en France : la tête dans la passion encore et dans les choses de cœur entre pour beaucoup. On se figure aisément combien Pauline devait plaire à quelqu’un de ce temps-là que nous connaissons tous, à quelqu’un qui avait passé par l’hôtel de Rambouillet,

  1. Lettre du 28 août 1680.