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LIVRE PREMIER.

mieux qu’en ce commencement on ne touche du doigt les défauts du temps et du talent de Rotrou, l’emphase, la vaine pompe. Toutes ces premières conversations ne sont que des tirades ampoulées, où la seule idée qui se développe incessamment, dans une indigeste recrudescence d’images, est le contraste de l’ancienne condition de herger avec la pourpre et la gloire actuelle de Maximin. Ce souvenir pastoral revient dans toutes les bouches, dans celle de Valérie, de Maximin lui-même, de Dioclétien qui cherche des autorités et des précédents :

À combien de bergers les Grecs et les Romains
Ont-ils, pour leur vertu, vu des sceptres aux mains ?

et il énumère. — Rotrou ne savait pas assez le monde pour comprendre que plus ces défauts de naissance sont réels et sensibles, moins on les étale. Ses deux empereurs, Dioclétien et Maximin, se posent tout d’abord dans le mauvais moule des bronzes solennels, dans toute la roideur d’un empereur équestre. On retrouve ici chez Rotrou, mais grossis, tous les défauts de Corneille : c’est comme un frère cadet qui ressemble à son aîné, mais en laid. Les Romains de Corneille en sont et en restent à Lucain ; ceux de Rotrou vont au Stace et au Claudien.

Genest entre (non sans avoir été annoncé au préalable par le page ) ; il entre avec une sorte de familiarité respectueuse, et, s’adressant aux empereurs, aux monarques (comme il les appelle tous deux, et oubliant qu’il y en a deux autres encore), il leur offre ses services et ceux de sa troupe dans l’allégresse commune. Dioclétien consent et se met à louer le théâtre, l’art du comédien, à discourir de cette matière dramatique avec l’intérêt qu’aurait mis Richelieu entretenant ses cinq auteurs. Il s’informe du mérite des rivaux en vogue :

Quelle plume est en règne, et quel fameux esprit
S’est acquis dans le Cirque un plus juste crédit ?