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LIVRE PREMIER.

lui sont ôtés pour un moment ; il veut toujours mourir. Natalie, soudainement retournée en sentiments contraires, l’embrasse alors et lui crie avec effusion : Cours, généreux athlète, et tout ce qui suit. Anthisme (ou Anthyme) confesseur chrétien, qu’elle fait entrer, l’exhorte en non moins beaux élans :

Va donc, heureux ami, va présenter ta tête,
Moins au coup qui t’attend qu’au laurier qu’on t’apprête :
Va de tes saints propos éclore les effets,
De tous les chœurs des Cieux va remplir les souhaits.
Et vous, Hôtes du Ciel, saintes légions d’Anges,
Qui du nom trois fois saint célébrez les louanges,
Sans interruption de vos sacrés concerts,
À son aveuglement tenez les Cieux ouverts !

Les Cieux se sont ouverts en effet ; l'Ange s’est montré : Genest ravi[1] passe outre à son rôle, et nommant le ca-

  1. Rotrou n’a pas osé faire conférer sur le théâtre, par les mains d’Anthisme, le baptême que réclame Genest. On lit dans Tillemont (Mémoires pour servir, etc., tome IV, p. 419) : «Ce saint martyr (Genest) était d’abord un chef de comédiens, si grand ennemi des Chrétiens qu’il n’en pouvait pas même entendre le nom sans frémir d’horreur. Il insultait à ceux qu’il voyait demeurer fidèles à Jésus-Christ parmi les tourments… Il s’informa avec grand soin de nos Sacrements, qu’il pouvait aisément apprendre de quelque apostat ; mais ce fut dans le dessein de profaner par ses bouffonneries sacrilèges ce que notre religion a de plus sacré. Il voulut en divertir Dioclétien même, et jouer devant lui en plein théâtre les mystères des Chrétiens. Après donc qu’il eut instruit les autres acteurs de ce qu’ils avaient à faire, il parut sur le théâtre couché comme un malade, et demanda le baptême, mais en des termes dignes du lieu où cela se passait : les autres lui répondirent de même, et on fit venir d’autres bouffons pour contrefaire un prêtre et un exorciste. Mais dans ce moment-là même il fut touché, et Dieu agissant dans son cœur, il se trouva converti… Le prétendu prêtre s’étant donc assis auprès de son lit et lui demandant : «Mon fils, pourquoi nous avez-vous demandé ?» il lui répondit, mais très sérieusement et avec une entière pureté de cœur : «Je souhaite de recevoir la grâce de Jésus-Christ pour renaître en lui et être délivré des iniquités qui m’accablent.» On célébra ensuite les mystères des Sacre-