comme prise sur la mesure de Fénelon et de madame de Maintenon. De même que Racine n’a peut-être pas osé raconter dans son Abrégé la Journée du Guichet et qu’il l’aura jugée trop forte, je l’ai dit, — trop forte de naturel et de familiarité, — pour le goût adouci de ses lecteurs, de même il a dû, dans ses tragédies sacrées, adoucir, assortir, revêtir de toutes parts, à force de gravité et d’onction, ce qui pouvait être trop nu, trop brusque de ressort, et qui éclate dans ces martyres de Saint Genest et de Polyeucte. Il n’y a plus rien du Moyen-Âge ni du seizième siècle, rien de gaulois chez lui. — On raconte qu’un jour Louis XIV, indisposé, voulut se faire lire quelque chose par Racine qu’il aimait à entendre, et dont le seul débit lui expliquait les beautés des auteurs. Racine proposa les Vies de Plutarque, par Amyot. — «C’est du gaulois,» répondit Louis XIV. — Mais Racine dit qu’il changerait à la rencontre les vieux mots, et que le roi ne s’en apercevrait pas : ce qui en effet eut lieu à ravir, et rien ne choqua l’oreille du roi. Eh bien ! ce que Racine faisait avec une dextérité si heureuse en lisant devant Louis XIV, on peut dire qu’il l’a fait au complet et profondément dans son œuvre. Il n’y a plus rien de gaulois dans tout ce qu’il fait lire : l’adresse est entière, l’art est accompli, le renouvellement facile et enchanteur. Ce rapport fini, proportionné, harmonieux de Racine avec le juste moment de son siècle, compose sa principale beauté.
Racine, dans ses deux tragédies sacrées, et même dans Phèdre, fut absous de Port-Royal, fut approuvé et applaudi du grand Arnauld : je regrette qu’il n’en ait pas été ainsi de Corneille pour Polyeucte. Dans les divers écrits des principaux de Port-Royal contre la Comédie, dans le traité de Nicole à ce sujet, Corneille est sans doute abordé toujours avec considération, même quand on lui emprunte des exemples qu’on blâme ; mais enfin