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LIVRE PREMIER.

« On y avoit une simplicité d’enfant qui faisoit aimer tous les livres que l’obéissance donnoit à lire, tels qu’ils fussent, parce que l’on y trouvoit Dieu… »

« Au commencement que j’entrai, je sentis un vuide dans mon âme qui m’étoit bien pénible ; et l’ayant dit à la mère Agnès, elle me répondit que je ne m’en étonnasse point, parce qu’ayant quitté toutes les choses du monde, et n’étant point encore consolée de Dieu, j’étois comme entre le Ciel et la terre. Environ un an après, je sentis que ce vuide étoit rempli »[1] Durant cette première année, pour la consoler de ses peines d’esprit, de ses craintes excessives auxquelles revenaient s’entremêler des doutes, on lui fit lire la Vie de sainte Thérèse telle que la sainte l’écrivit, et cet exemple la guida.

Monastère et vallon avec marécages étaient alors dans leur pire état de tristesse et de malsain, et elle-même y prit la fièvre. D’une cellule étroite et humide on descendait la nuit, l’hiver, dans l’église basse et froide ; on y allait dès le coup de deux heures, et on ne se recouchait point après Matines. Ces jardins, que nous ne voyons qu’à travers les Stances de Racine, devaient avoir alors peu de fleurs ou de beaux fruits, et l’on n’avait pas seulement la pensée de s’y promener :
« L’été, dit-elle, nous allions le matin sarcler au jardin, en grand silence et ferveur.

  1. Cet état de vide entre le Ciel et la terre se trouve admirablement creusé au chap. IX, liv. II de l’Imitation, et Corneille en a bien traduit les principaux caractères :

    Mais du côté de Dieu demeurer sans douceur,
    Quand nous foulons aux pieds toute celle du monde ;
    Accepter pour sa gloire une langueur profonde,
    Un exil où lui-même il abîme le cœur ;
    Ne nous chercher en rien alors que tout nous quitte,
    Ne vouloir rien qui plaise alors que tout déplaît,
    N’envoyer ni désirs vers le propre intérêt,
    Ni regards échappés vers le propre mérite,
    C’est un effort si grand, etc., etc….