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LIVRE PREMIER.

(lequel, très-peu scrupuleux d’ailleurs[1], lui en voulait d’avoir marié sous main leur jeune sœur, novice à Maubuisson, à un voisin de là, le comte de Sanzé), après toutes ces précautions, l’abbé de Cîteaux se transporta en personne sur les lieux en l’année 1617, pour procéder à sa visite officielle. Mais il eut beau faire prier l’abbesse, puis la faire sommer de paraître, convoquer le Chapitre et l’y mander, elle se refusa à tout, et il dut clore, sans l’avoir vue, sa visite. Il n’y avait plus qu’un moyen : la faire enlever et l’enfermer. L’ordre fut obtenu du Parlement. L’abbé partit donc de Paris le 2 ou 3 février 1618 avec prévôt et archers ; ceux-ci attendirent à Pontoise, et l’abbé seul vint droit à Maubuisson, où il tenta, durant deux jours, les derniers efforts pour aborder la rebelle et la ramener : ce fut inutilement. Elle se moquait des appréhensions, se disait malade, et ne voulut pas se laisser voir. Le 5 février, de grand matin, le prévôt et les archers furent donc introduits par l'abbé dans la première cour et dans les dehors du bâtiment ; mais on ne put avoir ouvertes les portes intérieures : il fallut enfoncer et escalader. On chercha l’abbesse, qui se déroba en toute hâte, et on ne la découvrit que vers le soir ; elle s’opiniâtrait tellement à ne point sortir, qu’on dut l’enlever demi-nue et la faire porter couchée sur son matelas jusque dans le carrosse. C’est en cet état qu’elle arriva aux Filles pénitentes, où elle fut recluse.

Il s’agissait de la remplacer, d’effacer sa trace, et la fonction n’était pas facile. L’abbé de Cîteaux, qui s’était tenu au dehors pendant que les archers opéraient, entra dès qu’ils eurent fini, convoqua les religieuses et leur proposa au choix les noms de trois abbesses de l’Ordre,

  1. Tallemant des Réaux (1834), t. I, p. 255 et suiv. ; et sur les Sourdis, Amelot de La Houssaye, Mém. hist., politiq., tom. II, p. 3 et 4.