Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
PORT-ROYAL

puis on remontait dans le carrosse, observant à travers cela de son mieux la règle da silence, ou ne l’interrompant que par des hymnes. On dut même rebrousser chemin cette fois-là, et remettre l’œuvre à une autre saison. Arrivées dans le lieu à réformer, c’étaient d’autres obstacles qui les attendaient. Je n’en veux citer qu’un exemple, mais capital et, ce me semble, intéressant, — ce qui se passa à la réforme de Maubuisson : une page très vive des mœurs de ce siècle.

L’abbaye de Maubuisson, avec le train qu’on y mène, nous est connue : la mère Angélique y a fait autrefois son noviciat sous cette étrange abbesse, madame d’Estrées. Après la mort de Henri IV, les désordres à rideaux ouverts devenant plus criants et n’étant plus protégés du nom du roi[1] on songea à y porter remède ; Louis XIII lui-même en donna ordre, dit-on, à M. Boucherat, abbé de Citeaux. Mais plusieurs fois les religieux envoyés par ce supérieur pour faire des représentations et informer sur l’état des choses, avaient été saisis, retenus par l’abbesse, et maltraités indignement. Un entre autres, le dernier venu, M. Deruptis, commissaire de M. de Cîteaux, s’était vu, dès son entrée à Maubuisson, jeté en prison dans l’une des tours de l’abbaye, avec sa suite ; on les y avait fait jeûner quatre jours durant, au pain et à l’eau ; et chaque matin, par ordre de l’abbesse, on donnait particulièrement les étrivières à ce religieux. Il y serait mort, s’il n’avait trouvé moyen de s’évader par une fenêtre. De tels excès ne pouvaient rester impunis. Après s’être assuré au préalable du consentement de la famille, avoir requis l'appui du cardinal de Sourdis, cousin de la dame, et de son frère le maréchal d’Estrées

  1. On dit de madame d’Estrées qu’elle avait douze enfants, dont quatre grandes filles auprès d’elle qui passaient pour ses demoiselles de compagnie. Ses filles n’étaient pas toutes de même condition : elle les traitait selon la qualité du père.